La dernière récolte (Firmament & Sable & Temps)

Le grand Loup s'étira dans sa Tanière en baillant à s'en décrocher la mâchoire avant de s'asseoir sur son séant pour léchouiller avec entrain sa fourrure cendrée. D'énormes touffes de poils morts tombèrent au sol, arrachées par ses crocs et sa langue aguerris à l'exercice. L'automne approchait, promesse de l'hiver bien aimé à venir, et Firmament Cendré commençait déjà à muer. Une première sous-couche venait, comme chaque saison, épaissir son pelage et lui donner une teinte encore plus pigmentée de blanc.

Bientôt, son camouflage serait plus aisé en plaine qu'en forêt, tant il blanchissait de saison en saison. Enfin, il avait encore pour lui le temps de la jeunesse, avant de devenir aussi blanc (et grincheux... non pas lui) que Pic Acéré.

Une autre préoccupation emplissait son esprit. Avec la fin de l'été venait aussi la fin de ce miel qu'il adorait tant. S'il voulait avoir des réserves pour l'hiver, il avait intérêt à aller récolter le travail de cette saison auprès des abeilles. En outre, il était certain que Lumière Nocturne apprécierait une partie de ses efforts pour remplir les stocks de miel médicinal. Peut-être même pourrait-il lui trouver de la gelée... c'était bon pour les louveteaux affaiblis par la morsure du vent hivernal.

Baillant une dernière fois, Firmament Cendré se secoua pour finir de se réveiller et s'extirpa de sa Tanière. Non pas qu'il avait voulu s'éloigner de la Meute, il n'en était pas encore à ses errances hivernales, mais la Vallée du Miel se trouvait juste à côté de sa Tanière. Quelle étrange coïncidence...

C'est le museau souriant qu'il se mit à trottiner vers cette fameuse vallée, à quelques pas de loup au nord. Il avait convié son Apprenti à sa quête et il espérait le trouver à l'heure au rendez-vous. Il lui avait dit un peu après les premiers rayons du soleil, pour lui laisser le temps de venir du camp sans se presser outre mesure.

Arrivé aux abords de la Vallée du Miel, Firmament se dirigea vers un buisson dense et y étendit une patte habituée pour en sortir deux grandes écorces arrondies et creuses. De parfaits contenants pour récupérer du miel. Il les serra délicatement entre ses crocs et s'avança dans la vallée, regardant de droite à gauche dans l'espoir d'apercevoir l'éclat doré du pelage de Nuage de Sable.

Voyant que son jeune Apprenti avait raté le lever du soleil, Firmament Cendré s'était couché sur un petit promontoire qui lui permettait de porter un regard circulaire sur l'ensemble de la Vallée du Miel. Il avait l’œil assez aiguisé pour observer de son perchoir les danses des abeilles.

Il notait leur fatigue. Beaucoup arrivaient au terme de leur vie. Soit les mâles qui ne s'étaient pas accouplés, et qui seraient bientôt chassés par les travailleuses. Soit les travailleuses d'été qui ne vivaient que quelques jours en travaillant tant et tant qu'elles se tuaient à la tâche.

Pour un peu, il se sentirait honteux, de leur voler le fruit de leur travail. Mais il ne comptait prélever qu'une partie de leur récolte. En échange, il prenait soin de la Vallée du Miel. Il chassait les autres prédateurs des abeilles, comme les ours, par la barrière d'odeur qu'il maintenait autour du vallon.

Ses oreilles gigotèrent vers l'arrière. Un bruit venait de le déranger dans son observation. Son Apprenti en retard daignait enfin arriver. Firmament ne se releva pas tout de suite, laissant le plus jeune mariner dans son inquiétude. Il déplorait de ne pas avoir réussi à lui apprendre la ponctualité. Peut-être n'avait-il pas été assez strict sur ce point là, laissant de mauvaises habitudes s'installer.

Après un petit moment de silence, le grand Loup se leva lentement et se retourna avec un regard sévère. Il nota son air désolé, sa queue basse, sa posture dominée, mais il ne l'en réprimanda pas moins.

- C'est la dernière récolte de la saison et il y a beaucoup de travail si nous voulons récupérer assez de miel pour avoir des réserves jusqu'au prochain Renouveau.

Arrivé à son niveau, il leva la patte pour chasser délicatement un branchage qui s'était coincé dans le pelage sale et hirsute du plus jeune.

- Tu aurais pu te blesser, continua-t-il de le sermonner d'un ton bougon, et un peu inquiet.

Faisant volte-face, Firmament se replaça en face de la Vallée qui bourdonnait d'abeilles.

- Nous allons déjà nous rouler dans de la boue pour avoir une couche de protection contre les piqûres de leurs guerrières. Rappelle-toi, mon petit, nous ne prenons qu'une partie de leur travail.

Se disant qu'un rappel de la méthode ne serait pas de trop, Firmament ajouta :

- Pose l'écorce sous la ruche que tu as choisi puis donne-lui un coup de patte pour faire quitter les abeilles. Sois ensuite prompt pour retirer un morceau de miel avec ton museau ou tes griffes. Si tu es habile, un seul coup suffira, ou alors tu devras réitérer l'exercice.

Le museau désormais gentiment moqueur, Firmament Cendré montra de la patte de grosses ruches en hauteur.

- Je m'occupe de celles-ci, prends celles à hauteur de Loup.

Ceci dit, le grand Loup trottina jusqu'à une flaque pour s'y rouler avec enthousiasme. Il se releva bientôt aussi brun que la terre et s'assit un moment pour attendre que la boue sèche.

- As-tu des questions, Nuage de Sable ?

Ce ne fut qu'une fois que son Apprenti l'eut dépassé que Firmament Cendré se permit un petit sourire en coin. Attendri, il finissait toujours par l'être par ce jeune Loup qu'il avait pris sous son œil attentif. Mais il devait rester ferme avec lui, ou il n'apprendrait jamais l'importance de la ponctualité. Il arrivait des moments où la survie de la Meute dépendait de la vitesse de ses membres à arriver là où ils devaient être et à agir en conséquence.

Trottinant d'un pas léger, le grand Loup se dirigea vers un arbre un peu éloigné. Il connaissait les abeilles qui nichaient là depuis des saisons. Elles butinaient pour la ruche la plus imposante de la Vallée du Miel, et leur miel était délicieux. Il n'en connaissait pas de meilleur pour soigner les plaies, ou même se régaler le palais - il en saliverait presque.

Presque... il était plus que concentré. Même son estomac capricieux ne le détournait pas de sa tâche. La ruche était haute, très haute, sur une branche inaccessible, même s'il se dressait de toute sa hauteur sur ses pattes arrières. Il allait devoir sauter. Avec délicatesse. Car il ne voulait surtout pas abîmer la ruche, encore moins la faire tomber. C'était la plus difficile à récolter ; il préférait toujours commencer par elle.

Il se roula les épaules et étudia les alentours, avant de sourire. Même les intempéries de ces dernières nuits n'avaient pas altéré les lieux. Il était tel qu'il était depuis des saisons, tel qu'il le connaissait sur le bout des griffes, tel qu'il lui permettait de s'élancer habilement dans les airs.

Sans plus attendre, Firmament Cendré fonça vers un rocher sur le côté. Celui-ci était renversé sur le flanc, un parfait tremplin pour bondir vers la ruche et lui flanquer un coup de patte. Les abeilles jaillirent en vrombissant. Mais leur agresseur était déjà de retour sur la terre ferme, et en mouvement. En face du premier rocher, un terre-plein semblait l'attendre. Il le contourna avec une demi-volte habituée et bondit en l'air, gueule en avant, juste dans l'axe qu'il fallait.

Il arracha un gros morceau de miel et atterrit sur le sol en un bruit mat. Dans le même souffle, il détalait déjà, avant que les guerrières ailés fondent sur lui. Elles étaient tellement affolées qu'elles repartirent rapidement vers leur ruche pour attester des dégâts ; Firmament savait qu'ils n'étaient irréversibles, et que la ruche s'en remettrait très bien.

Arrivé près de son écorce, il y lâcha le morceau de rayon et se lécha les babines, un air bienheureux peint sur le museau. Le goût merveilleux du miel lui emplissait les babines. Il adorait participer à une récolte de miel.

Tournant la tête vers Nuage de Sable, il marqua une pause pour observer comment se débrouillait son Apprenti.

Lancé de dééés!

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Lancé de dé !

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Un coup de léchouille sucrée, qui lui rabattit une touffe de poils entre les deux oreilles, fut sa première réponse. Firmament couvait sur son Apprenti un regard rempli de fierté.

- Tu es un digne chasseur de miel, mon petit ! Je peux me retirer sans m'inquiéter, je sais désormais que la Meute sera entre de bonnes pattes.

Le clin d’œil qui accompagna sa boutade la rendit perceptible malgré le ton sérieux qu'il adopta. Le grand Loup capta dans ses périphéries que les abeilles qu'il avait dérangé s'étaient totalement calmées. Il pouvait donc tranquillement retourner en chasse, sans risquer la fureur de leurs piqûres.

- Le temps ne va pas nous attendre. Il file déjà au pas de course d'un Loup pressé par le danger !

Les jours commençaient déjà à raccourcir, et la nuit étendait de plus en plus son manteau. Firmament Cendré en aurait été bienheureux, s'il s'agissait d'une réelle chasse, car son pelage se fondait bien mieux dans la noirceur d'une nuit sans lune que sous la royale chaleur du soleil. Mais pour récolter les délicieux rayons que les ouvrières ailées travaillaient lors des grandes chaleurs, la lumière diurne était nécessaire.

Une dernière caresse de la truffe à son Apprenti, et il repartait déjà en trottinant d'un pas guilleret. Il connaissait une autre ruche, un peu moins haute, mais toute aussi compliquée à récolter : ses guerrières étaient féroces, et pouvaient attaquer à vue. S'il ne savait pas que les abeilles avaient une vie plus courte que celle des Loups, il aurait cru qu'elles se souvenaient du faciès de leur voleur annuel.

Il contourna donc leur arbre pour les aborder par l'arrière, et éviter de se faire repérer par leurs rondes zélées. Silencieux, tel une ombre, il se rapprocha à pas lents jusqu'à ramper sur un petit promontoire, prêt à bondir sur sa cible. Mais, tout concentré qu'il était à ne pas se faire repérer, il ne pensa qu'au dernier moment à vérifier le terrain (qu'il pensait, à tort, connaître).

Or les dernières pluies avaient développé sur le rocher sur lequel il s'appuyait une mousse glissante. Entravé par sa glissade imprévue, son bond fut moins glorieux qu'il ne le voulait, et il percuta bien trop fort la ruche. Heureusement, elle ne tomba pas de son arbre. Par contre, ses guerrières l'avaient repéré, avec fracas.

Il détala la queue entre les pattes, tant il connaissait la morsure furieuse de ces abeilles-ci, et ne voulait pas la goûter aussi tôt dans sa récolte, et zigzagua entre les arbres pour les semer ; en pure perte, pendant un certain moment. Il devait être ridicule, à fuir ainsi devant des insectes.

Quand enfin, elles le lâchèrent, il s'arrêta, un peu essoufflé, près de son Apprenti et... un puissant aboiement de rire lui échappa. Secoué par son hilarité, Firmament s'assit sur son séant pour évite de choir, et d'accentuer son ridicule, si cela était encore possible.

- Et bien, mon petit, dit-il, une fois à peu près calmé, tu as pu observer la merveilleuse technique de ton fabuleux mentor quant à la façon de fuir des abeilles furieuses et acharnées.

Un peu de miel?

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Lancé de dé.

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Mais c'est qu'il prenait un peu trop de graine, son petit gredin ! Faussement outragé, Firmament Cendré se redressa de toute la hauteur de ses pattes et gonfla son poitrail de la fierté malmenée d'un mentor. Ce fut un oeil dédaigneux qui se posa sur l'écorce remplie d'un rayon délicieusement alléchant... et non ! Il ne devait pas féliciter trop vite ce petit Loup habile qui croissait bien plus vite qu'il ne l'aurait cru.

- Je te rappelle que tout l'honneur me revient, puisque c'est moi qui ais planté tes racines.

La mine toujours fâchée, le grand Loup détourna son long museau vers le ciel d'un air empli d'une noblesse affligée.

- Alors que la vieillesse commence déjà, ô fatalité !, à frapper mes pauvres os, voilà que devant moi se tient la fringuante jeunesse qui frime sans pitié pour ma carcasse fatiguée !

Il gardait sciemment les yeux clos, pour éviter que leur éclat joueur et amusé ne trahisse ses véritables pensées. C'était, qu'à force d'endosser la pelisse d'autres Loups dans ses jeux de rôle, il avait acquis une solide expérience de comédien.

Il pourrait tromper même un renard, il en mettrait sa patte dans la gueule de l'ours.

Poussant la chose plus loin (parce qu'avec Nuage de Sable, son cher petit, il se permettait de laisser s'exprimer au grand jour ses facéties), Firmament Cendré s'éloigna, la queue en panache, la truffe en l'air, en quête d'une nouvelle cible.

A vrai dire... jamais les farouches guerrières qu'il avait fui n'auraient l'idée de le voir oser, quelle infamie !, revenir à la charge aussi vite.

Cette fois-ci, il fit attention à la mousse. Elle était bien trop glissante pour espérer utiliser le rocher comme tremplin. Firmament abandonna en fait l'idée assez vite. Il préféra sauter sur la terre ferme d'un bond décidé et observer la distance qui l'en séparait de la ruche.

Un peu trop haut... mais pas impossible. Malgré ce qu'il avait dit à Nuage de Sable, il était encore assez jeune ; il pouvait faire ce saut.

Mais au moment de prendre son élan, une douleur dans l'arrière-train lui intimida une saine prudence. Il s'était en effet blessé quelques jours plus tôt, en chassant le mouflon. Et il serait inutile d'agiter encore plus ces abeilles furibondes en abusant de ses forces affaiblies.

Alors il jeta un regard calculateur, et rempli de malice, sur son Apprenti.

- Ma parole était prophétique, mon petit, me voilà incapable d'effectuer le saut qui me permettrait d'atteindre cette ruche... Viens donc me montrer cette technique que j'ai précédemment raté.

Miel? Pas miel?

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Lancé de dé.

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Firmament Cendré était plutôt mitigé de son tour. Il avait bien trop marché. Son jeune Apprenti avait couru s'engouffrer dedans, avec les quatre pattes d'un coup. Était-il donc si prompt à le réprimander qu'il ne se doute pas que ses récriminations n'étaient qu'une illusion dans son jeu ? Ou serait-il devenu un trop bon comédien ?

En tout cas, il allait axer les derniers entraînements qu'il dispenserait à Nuage de Sable avant sa nomination au rang de Guerrier sur le regard critique qu'il devait avoir envers les agissements des autres Loups. Il devait finir par arriver à lire en lui. C'était un de ses objectifs.

Pour le moment cependant, une affaire plus pressante accaparait son objectif. Pris de doute quant à son affection, l'esprit de Nuage de Sable n'avait pas été concentré sur sa tâche. Firmament se maudit intérieurement de ne pas avoir décelé son trouble avant de l'envoyer se frotter à des abeilles aussi virulentes. Si son petit se faisait blesser par sa faute, il ne se le pardonnerez jamais.

Il tenta bien de rattraper la ruche en plein vol mais sa hanche le faisait réellement souffrir et il la manqua de peu, éraflant ses parois de ses crocs. Alors qu'elle explosait au sol, il se réceptionna tant bien que mal, se promit d'aller quérir l'aide de Lumière Nocturne pour sa hanche (parce qu'il n'arrivait plus trop à s'imposer le repos depuis qu'il était devenu Lieutenant) et hurla vivement au plus jeune Loup qui avait eu l'excellent réflexe de s'enfuir à toute allure.

- Dans la boue, Nuage de Sable !

Lui ne comptait pas laisser les abeilles poursuivre son Apprenti. Il se jeta frontalement sur le chemin de leur progression, en croqua quelques unes au passage, assez habile pour éviter leur dard, mais se fit piquer par d'autres guerrières qui avaient échappé à ses crocs. Heureusement, la couche de boue dans laquelle il s'était paré le protégeait en grande partie de leur fureur.

Mais l'essaim se désagrégea rapidement. La ruche détruite, les abeilles n'avaient plus de raison de rester, et de risquer leurs vies, et elles s'envolèrent, sans doute en quête d'une autre ruche. Maintenant qu'il pouvait réfléchir un peu au calme, Firmament se fit la réflexion que ce n'était pas plus mal. Trottinant calmement vers son Apprenti, après avoir récupéré la ruche éventrée, il lui expliqua sereinement qu'il ne devait pas s'en vouloir.

- Leur agressivité devenait problématique. Elles ne devaient plus avoir d'alpha, ou se la transmettre de parents en petits.

Le grand Loup se coucha devant son Apprenti pour le couver d'un regard doux.

- Tout va bien ? Elles ne t'ont pas piqué ?

Il eut droit à une première léchouille entre les oreilles, qu'importe la boue, même si le goût était désagréable.

- Tu savais que je te jouais un rôle, n'est-ce pas, mon petit ? Je ne t'ai quand même pas habitué à être châtié pour si peu.

Et une deuxième léchouille pour finir de le rassurer. Se redressant un peu, même s'il gardait sa hanche au repos, le Loup cendré observa les environs.

- Remets toi de tes émotions, puis nous irons récolter le miel de ruches moins hautes. Je pense qu'une bonne nuit de sommeil sera nécessaire pour s'attaquer aux plus compliquées. Mais les deux situations les plus complexes sont déjà résolues.

Son petit ne semblait pas être plus rassuré que cela, alors même qu'il lui avait expliqué qu'il jouait à ses dépens. Penchant la tête sur le côté, le regard un peu inquiet, Firmament Cendré étudia son Apprenti. Aurait-il raté quelque chose ? Sans doute, oui. Certainement, même.

Comment avait-il pu passer à côté de cette terreur qui transparaissait en cet instant dans le regard du plus jeune ?

Parce qu'il avait peur, c'était évident, et il ne fallait pas chercher loin pour comprendre qu'il avait peur de le perdre, en le décevant ou il ne savait trop quoi. Une peur irrationnelle mais dont il n'arrivait pas à se défaire.

Et ce n'était que maintenant, à la fin de son apprentissage, qu'il s'en rendait compte ? La honte déferla sur lui. Il n'avait pas fait assez attention à son Apprenti, s'il avait manqué quelque chose d'aussi gros. Ou alors... Mais oui, quel idiot il faisait.

C'était justement la fin de son apprentissage qui devait réveiller ces vieilles peurs chez lui, elles qui venaient de la perte de ses parents, peut-être même du poids pesant que la vieillesse faisait de plus en plus peser sur les épaules de Montagne Crépusculaire.

Son regard se fit infiniment doux. Comment son Apprenti pouvait douter de son affection pour lui était le véritable mystère. Ne l'entendait-il pas parler ? N'entendait-il pas ses "petits", plus courant que ses "Apprenti" ? N'entendait-il pas les "mon" qu'il ajoutait à chaque fois ? Sa peur le rendait-elle aussi aveugle ?

- Tu es mon petit, Sable, que tu t'appelles Nuage ou bientôt avec le nom d'un Guerrier, lui dit-il gentiment, laissant transparaître son affection dans la chaleur de son ton. Il se releva en douceur, pour ne pas réveiller la douleur de sa hanche, et proposa son épaule à Nuage de Sable pour l'aider à se relever.

- Ma Tanière te sera toujours ouverte, même lorsque l'hiver m'appellera à ses errances. Tu m'y retrouveras toujours là-bas.

Sans prévenir, il l'attaqua soudainement à larges coups d'une langue baveuse, faisant fi du goût de la boue, pour lui rentrer dans le crâne à force de léchouilles qu'il tenait véritablement à lui.

Une fois que tous les poils entre les oreilles de Nuage de Sable eurent été ébouriffées comme la parure d'un hérisson, il lui dédia un museau souriant.

- Il nous reste encore du temps en ce jour. Repose-toi tant que tu voudras, j'y retourne.

Récolter les ruches les plus faciles d'accès ne serait ni compliqué ni très long. Il avait bon espoir de finir avant la tombée de la nuit et d'emmener son Apprenti se balader aux douces lueurs du crépuscule. Il lui semblait qu'ils avaient besoin d'un silence apaisant, ou d'une discussion tranquille, pour apaiser totalement ses tourments.