Nuage de Lumière

Pour vous raconter mon histoire, je dois d'abord vous raconter celle de ma mère. C'était une guerrière ayant toujours rêvé de liberté, sans attache, sans vrai lien avec qui que ce soit. Elle enchaînait les compagnons d'un soir, et, contrairement à toutes ses camarades de son âge, était dégoûtée à l'idée d'avoir des petits. Pourtant, à force de batifoler partout, ce qui devait arriver arriva. Elle découvrit qu'elle attendait des louveteaux. Alors que tout le monde était heureux pour elle, ma mère se referma dans sa bulle, et s'isola. Autant prévenir dès maintenant, personne n'a jamais eu aucune idée de qui pouvait être le père, elle la première. Les trois derniers mâles avec qui elle avait passé du temps pouvaient tous l'être.

Peu de temps avant notre naissance, décidée à ne pas devenir mère, ma mère sortit du camp, de nuit. C'était lors de la mauvaise saison, et une grande tempête menaçait. Elle se disait qu'elle pourrait se laisser tomber au sol, et attendre que le froid fasse son effet. Oh non, elle ne comptait pas vraiment mourir. Juste s'affaiblir pour que les petits ne survivent pas. Après tout, ils n'étaient pas nés, ils n'étaient encore rien. Juste une sensation étrange dans son corps.

Mais un de ses camarades remarqua son absence, et la guérisseuse accompagna un groupe de trois guerriers pour la retrouver. Elle était proche du terme, si jamais elle devait mettre bas de manière imprévue, autant qu'il soit là. Alors que la neige commençait à recouvrir légèrement le pelage de ma mère, les guerriers l'ont retrouvée. Ils l'ont ramenée au camp, et bien qu'elle tenta de leur échapper, elle était devenue trop faible, dans ce froid, dans ce vent, pour lutter. Alors qu'elle se réchauffait petit à petit dans la tanière de la guérisseuse, qui veillait à ce qu'elle n'ait rien, des contractions la prirent. C'est ainsi que moi et ma sœur sommes nées.

Pendant notre vie de louveteau, nous voyions très peu notre mère. Elle sortait le plus souvent possible pour ne pas nous voir. Et lorsqu'elle était présente, elle nous envoyait toujours ailleurs, pour ne pas la déranger. Ma sœur, Petite Ombre, était blessée un peu plus par le comportement de notre mère. Et moi, je ne comprenais juste pas comment elle pouvait blesser ainsi sa propre fille, alors que toutes les autres mères couvaient leurs petits du regard.

Voulant savoir la raison des réactions de ma mère, je suis allée voir les anciens, puis des guerriers que je supposais proches d'elle, mais à chaque fois, on me répondait vaguement, ou on m'envoyait balader. J'ai même fini par me demander si Petite Ombre et moi n'étions pas des sang-mêlés. Tout le monde me repoussait, je ne pouvais pas être autre chose que le louveteau de quelqu'un ayant bafoué le code du guerrier.

La guérisseuse, qui a eu vent de mes tentatives, a fini par venir me voir. J'étais en train de consoler ma sœur qui pleurait à chaudes larmes après s'être fait gronder alors qu'elle demandait un câlin à ma mère. Elle avait vu les autres louveteaux le faire avec la leur, aussi s'était elle dit qu'elle aussi y avait droit. Préférant protéger Petite Ombre, j'ai fait en sorte qu'elle n'entende pas ma discussion avec la guérisseuse.

Apprendre que je n'étais pas une sang-mêlée m'a soulagée. Mais cela ne m'a pas du tout aidée à comprendre pourquoi notre mère était ainsi. Il m'a alors racontée toute son histoire à elle. Savoir qu'elle était partie dans le froid, ainsi, juste avant notre naissance m'a fait frissonner. J'ai préféré ne rien dire à ma soeur, sachant la vérité. Lorsque Petite Ombre est venue me voir pour savoir, je lui ai simplement répondu que notre mère ne nous aimait pas et n'avait jamais voulu de famille.

Nous sommes restée ensemble sans voir notre mère pendant trois jours, après ça. En même temps, cela faisait trois jours qu'elle était sortie, et n'était pas revenue. Petit à petit, nous avons commencé à avancer, et même si ma soeur a tenté à plusieurs reprises de faire changer ma mère d'avis, rien n'y faisait. Pour ma part, j'ai considéré que ma mère était morte le jour de notre naissance. Ce qui, en soit, était un peu vrai. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même.

Pendant tout ce temps, je me réfugiais dans la tanière de la guérisseuse, que j'ai appris à énormément apprécier. Il a été le seul à me dire la vérité, même s'il m'avait prévenue que l'on ne souhaitait pas toujours l'entendre. Pour cela, je lui en suis éternellement reconnaissante.

Vient alors notre baptême. Notre mère n'était pas là. J'ai bien vu que Petite Ombre était triste, mais je lui ai garanti que je resterai à ses côtés, et elle a pu profiter malgré tout du moment. Je suis devenue apprentie guérisseuse, et elle apprentie guerrière. C'est également depuis ce jour que notre mère a totalement disparu. D'après certains guerriers, elle côtoyait un loup solitaire depuis quelques temps. Elle serait partie avec lui, alors que nous passions apprenties. Quel beau jour pour choisir son départ.

Désormais, j'essaie d'oublier notre mère pour me concentrer sur mon apprentissage. Nuage d'Ombre, elle, a décidé de partir en quête de notre père. Malheureusement, je pense que cela ne lui apportera que de mauvaises choses...