Raven ~ Retour à l'état sauvage

« Aujourd’hui, vous pouvez observer les petits louveteaux, nés depuis deux semaines déjà. Cela ne fait pas longtemps qu’ils ont ouvert les yeux, et vous pourrez remarquer… »
Cette voix, toujours cette même voix. Ces cris d’animaux sur lesquels ils n’arrivaient pas à mettre de nom. Le petit louveteau crème se lova contre sa mère. Voilà deux semaines qu’il était né, et il en avait déjà marre. Il fallait dire que c’était presque tous les jours le même cinéma. Des espèces d’animaux sur deux pattes, penchés près de ces grilles, à les regarder. Toute la journée. Heureusement, le soir, ils s’en allaient. Mais le matin, ils revenaient. Et puis, il y avait les autres, qui venaient le prendre, l’arracher à sa maman pour lui faire toute une série de tests.
Les semaines passèrent, et puis, il prit l’habitude. De toute façon, il n’avait pas le choix. Alors il s’amusait, avec son frère et sa sœur, Nuts et Rose, à courir partout, du moins jusqu’aux limites. De sauter de rochers en rochers, d’aller patauger dans l’eau. Finalement, même si les « bipèdes » étaient là toute la journée, il s’en fichait. Tant qu’il était avec les siens. Et puis, le soir, sa mère leur racontait des histoires. Des histoires qui le passionnait, et qui, en même temps, faisait naître en lui une soif de découvrir ce qui se trouvait au-delà des cages. Rain, sa mère, racontait des histoires et des légendes sur des loups qui auraient formé le monde, et des Meutes qui vivraient au-delà des montagnes les plus grandes et les plus effrayantes.
Plus il grandissait, plus Raven avait envie de sortir de là où il était. En plus, les cris déchirants des animaux dans les cages à côté de la sienne commençaient vraiment à l’énerver. Il en avait marre, et pourtant, la fuite semblait impossible. Au fond, il ne comprenait pas vraiment ce désir qui l’envahissait. C’était vrai, il avait tout pour lui : de la nourriture matin et soir, de l’eau en quantité suffisante, un espace pour dormir, des bipèdes qui s’occupaient de lui et surtout de son pelage. Car oui, la majorité de ces deux-pattes qui venaient ici admiraient son beau poil. C’était usant, et fatiguant.
Alors, pour passer ses journées, il n’arrêtait pas de demander aux siens s’ils avaient besoin d’aide pour quoique ce soit. Il se cachait aussi, ce qui valait des grognements de la part des Bipèdes. Car oui, il avait vu un soir, une représentation de lui, sur un « panneau » comme appelaient ça les bipèdes. Il était devenu comme le modèle de ce « zoo ». Et ça, ça lui donnait encore plus envie de fuir. Enfin, il n’était pas le seul. Il y avait cette louve qui changeait la donne. Cette louve au magnifique pelage blanc. Elle aussi était sur le panneau. Tous deux avaient déjà passé du temps ensemble, et les sentiments commençaient à naître au fond du petit cœur du loup. Et c’était réciproque. Elle s’appelait Myosotis. Elle était belle. Et surtout, la louve partageait la même envie d’échapper aux Bipèdes. Ils avaient prévus de s’échapper ensemble, afin de vivre tous les deux, loin de cet enfer. Ils s’étaient promis de trouver une solution. Ils savaient qu'ils allaient y arriver.
Mais lors d’un automne particulièrement gris, Myosotis tomba malade. Cela dura pendant plusieurs jours. Les Bipèdes s’inquiétaient, mais la laissait pourtant avec le groupe de loups. Raven restait avec elle, il ne voulait même plus manger, ni boire. Il essayait de l’aider, de la réconforter, mais rien n’y fit. Myosotis se sentait partir. Et les Bipèdes vinrent la chercher. Ce fut une séparation très dure. Même sa mère ne put le consoler. Et pourtant, ses mots raisonnèrent dans sa tête. Avant de partir à tout jamais, elle lui avait murmuré à l’oreille la solution. Et ces derniers mots « Vis, Raven. Ne te laisse pas mourir, échappe toi, vis ta vie dans la nature, là où est ta place. Je t’aim… ». Elle n’avait pas eu le temps de terminer sa phrase qu’ils étaient venu la le lui arracher. Convaincu, déterminé, il ne fit part à personne de sa fuite. Avant de mettre en place le plan qu’avait trouvé Myosotis, il alla chuchoter ses adieux à l’oreille de sa mère, de son frère et de sa sœur durant leur sommeil. « Je ne vous oublierai jamais ». Il espérait que ça allait marcher, pour elle.
Alors que la nuit était déjà tombée, il restait encore quelques soigneurs. C’était le moment où jamais. Il alla se mettre prêt de la porte par laquelle les Bipèdes passaient pour venir dans leur enclos, puis il gratta, et hurla faiblement. Quand ils s’en rendirent compte, Raven fit mine de traîner sa carcasse, haletant, le poil ébouriffé, haletant, les yeux vitreux. Il s’était même écorché, et son poil était collé à cause du sang. Sans réfléchir, les soigneurs ouvrirent l’enclos, laissant la porte ouverte, et voulurent lui administrer un sédatif… Mais qu’elle ne fut pas leur surprise lorsque Raven leur échappa, et prit la direction de la sortie. Réveillés par les cris des bipèdes, les loups sortirent de leurs tanières. La dernière chose qu’il vit, ce fut le regard horrifié de sa mère, et ceux étonnés de son frère et de sa sœur. Il n’eut pas le temps de leur hurler ne serait-ce qu’un « au revoir » ou un « désolé ». Si le loup voulait échapper aux bipèdes, il ne fallait pas qu’il s’arrête. Raven ne les revit plus jamais.
Il réussit à sortir tant bien que mal de l’enceinte. Puis il courut. Courut longtemps, sans s’arrêter. Il croisa à plusieurs reprises des Bipèdes qui hurlèrent à son passage, ce qui le faisait accélérer encore plus. Il devait s’enfuir. Il devait trouver ces montagnes, et aller de l’autre côté, comme ils se l’étaient promis avec Myosotis. Mais ses plans furent vite changés. Il sentait les Bipèdes qui se rapprochaient de lui lorsqu’il s’arrêtait pour dormir. Alors, un jour, lorsqu’il trouva une caverne, il s’y engouffra, l’odeur des chiens et des Bipèdes bien trop forte. C’était probablement sa seule chance de s’en sortir. Il faisait noir, humide. Peut-être qu’il n’y avait rien au bout, et qu’il se ferait attraper. Et ça serait la fin. Mais Raven avait de l’espoir, et il ne voulait pas abandonner.
Ses efforts payèrent. Il y avait bien une sortie au bout du tunnel, même si elle fut difficile à atteindre. Et les voilà, les terres que les loups avaient créées. Raven respira un grand coup. Plus d’odeurs de chiens et de deux pattes. Il avait réussi. Il était en terre promise. J’ai réussi Myosotis, j’ai réussi. Une première étape de faite. Mais soudain, la réalité rattrapa le canidé. Jamais il n’avait connu la nature et ses dangers. Il ne savait pas chasser, pas se battre. Comment allait-il faire ? Il était trop tard pour reculer. Trop tard pour faire machine arrière. Il devait résister, et vivre, pour Myosotis, sa mère, son frère et sa sœur.
Cela fait désormais quelques mois que Raven vit en territoires libres. Et pourtant, à chaque fois qu’il rencontre un loup, on le traite de fou. Que son histoire est à dormir debout. Que tout ça n’est que rêverie. Qu’il ment. Mais il est bien décidé à faire comprendre à tout le monde que ce qu’il a vécu est bien réel.