La dernière récolte (Firmament & Sable & Temps)

Les os craquaient sous l'assaut de ses crocs avec un son délicieux pour ses oreilles ; ils se régalaient autant par le goût que par l'ouïe. Le miel de fin de saison était plus fort car les abeilles avaient eu le temps de récolter une grande quantité de pollens différents. Il s'agissait de son miel préféré et, en complément de la perdrix, c'était juste un délice.

Il ne fit guère attention à son Apprenti durant son repas, trop concentré à mâchouiller convenablement les petits os du volatile pour éviter de s'étouffer avec un éclat avalé de travers. L'accident avait manqué de le tuer plus jeune, sans la prévenance de Pelage Nuageux. Depuis lors, il était devenu un expert dans cet exercice et s'y prêtait toujours avec une grande attention. Après tout, il était un grand mangeur de volaille, non un amateur.

Une fois la carcasse presque avalée - il ne laissa de côté que les plus petits os, quelque peu désagréable à croquer, Firmament Cendré se recula dans un coin de la Tanière plus profond, plus chaud aussi dans le creux de la terre. Il y avait déposé un assortiment de plantes, notamment des fougères, pour s'en faire une paillasse confortable. Elle était assez grande, signe qu'il étalait souvent ses longues pattes lorsqu'il dormait, et s'ils se couchaient en se serrant, ils devraient y tenir à deux. Les nuits commençaient à être froides.

Le grand Loup arrangea la couche en y faisant le tour avant de s'y affaler, le flanc tourné vers la sortie ; il avait toujours l'instinct protecteur de faire rempart de son corps entre son Apprenti et n'importe quel danger qui pourrait advenir. Ce ne fut qu'une fois installé qu'il entreprit de se nettoyer avec diligence, ôtant de sa pelisse qui gonflait par l'arrivée du froid toute trace de sang, de miel et d'éclats d'os.

Même s'il était concentré sur sa tâche, ses oreilles se dressèrent bien droites quand il entendit le ton dépité de Nuage de Sable. Il tourna la tête vers lui, l’œil un peu étonné.

- Parce que tu penses être de ce genre d'Apprentis qui considèrent qu'ils n'ont plus rien à apprendre de leur mentor une fois Guerriers et le rejettent donc loin de leur vie ? J'en serais déçu, mon petit.

Il lui envoya dans le flanc une pomme de pin qui traînait dans un coin, le regard soudainement joueur.

- Ouvre tes petites oreilles, voyons. Je t'ai dit que ma Tanière te serait toujours ouverte, et continuer de courir à mes côtés l'est tout autant, mon petit. Je serais honoré d'avoir un Guerrier tel que toi pour m'épauler dans mes chasses ou mes patrouilles.

Un jappement de rire lui échappa. En fait, il n'en croyait pas ses oreilles. Nuage de Sable était-il donc aveugle pour se fourvoyer autant ? Il lui relança la pomme de pin, visant sciemment son museau.

- Idiot.

Son ton attendri démentait l'insulte.

- Oh... souffla-t-il en secouant doucement la tête. Ne t'en fais donc pas autant, mon petit. J'aurais bien assez de mal à te laisser aller sur ta propre piste de chasse pour te laisser dans ton coin et oublier ces lunes d'entraînement.

Il lui sourit gentiment et, ne résistant pas, s'approcha pour lui léchouiller les poils entre les deux oreilles. Bien évidemment, il s'appliqua à les emmêler totalement. Une fois la chose faite, il s'assit avec un regard victorieux et fier de lui, ce qu'il était vraiment.

Mais son comportant de Louveteau lui permettait aussi de camoufler son propre trouble. Il allait réellement avoir du mal à arrêter de surprotéger le plus jeune et le laisser se dépatouiller sans lui. Il avait dû passer des nuits entières pour se convaincre que, oui, il devait convier son Apprenti à la chasse au sanglier qu'il prévoyait, d'autant plus qu'il se rendait compte maintenant qu'il avait l'envergure d'être intronisé Guerrier.

Il soupira... qu'il était difficile de laisser son protéger ouvrir sa propre piste.

Voulant rapidement changer le fil de son esprit, le grand Loup reprit vivement, le ton guilleret étant un peu forcé :

- Et donc, que prévois-tu de faire quand tu seras Guerrier ? La première chose que tu feras. Vraiment, la toute première. Moi, je suis allé voir ma mère et je nous ai amené ici, là où je suis né, pour leur annoncer, à elle et à mon père, que leur Louveteau était désormais un Guerrier.

- Oh... tu ne penserais pas à moi pour ta première proie, murmura Firmament d'un air faussement dépité. Il surjouait sa tristesse pour qu'il soit bien visible qu'il plaisantait. Son sourire amusé trancha rapidement sa gueule pour en attester et il ajouta d'un ton réellement doux :

- Montagne Crépusculaire en serait heureux. Il est déjà tellement fier de toi. Et je suis heureux de ne pas l'avoir déçu en t'entraînant. J'aurais pu être un peu inexpérimenté.

Sa queue battit l'air d'un air guilleret.

- Et moi je me contenterai avec plaisir de ta deuxième proie. Surtout s'il s'agit d'une volaille.

Ce ton joyeux les enveloppa durant le reste de la soirée malgré les souvenirs et la blessure de sa hanche qui le lançait maintenant qu'il refroidissait au repos. Il ne tarda pas à bailler de toute la largeur de sa gueule et de conseiller le sommeil. Ils ne risquaient rien dans sa Tanière.

Le lendemain, il irait continuer à récolter le miel et Nuage de Sable pourrait faire comme il lui chantait, retourner au camp ou continuer à l'aider. La récolte allait être conséquente cette année-là et il en était heureux parce que ça lui permettrait d'en garder pour lui-même en plus d'en donner à Lumière Nocturne et la Meute.

Posant sa tête sur ses pattes, Firmament Cendré ferma les yeux avec un soupir de contentement. Il s'endormit avec un museau souriant.